13. De surprenantes révélations

 

 

Les Chevaliers d’Émeraude commençaient à faiblir devant l’assaut massif des imagos à la frontière des Royaumes de Diamant et d’Émeraude, malgré l’apport de l’armée de Jade et de celle de Diamant. De plus en plus de soldats subissaient des blessures, et le soleil n’avait même pas commencé sa descente. « Combien de temps tiendrons-nous ? » se demanda Wellan.

Onyx se posait la même question. Il s’était retiré des combats suffisamment longtemps pour évaluer l’étendue de la menace. S’il n’agissait pas tout de suite, il ne resterait plus d’humains à la tombée du jour. Or le nouveau Roi d’Émeraude était un survivant, un homme qui refusait de s’avouer vaincu. Il courut donc jusqu’à l’endroit où patientaient les chevaux, demeurés à l’écart de la bataille, grimpa sur le dos de la bête la plus proche de lui et galopa vers le sud. Lorsqu’il se fut assez éloigné des imagos, il sauta sur le sol et se tourna vers le nord. Sans perdre une seconde, il leva les bras au ciel, puis se mit à réciter des incantations dans la langue des Immortels, même s’il risquait de s’attirer la colère des dieux. Il n’avait plus le choix.

De gros nuages se massèrent au-dessus de lui. Il répéta sans arrêt les paroles magiques destinées à concentrer la foudre. Des éclairs clignotèrent dans le sombre tourbillon.

— Qu’est-il en train de faire, cette fois-ci ? s’énerva Hadrian.

Il évita de justesse d’être labouré par les longues griffes d’un coléoptère et se concentra de nouveau sur les combats. Swan avait aussi aperçu l’orage que préparait son impossible mari. Avant qu’elle ne puisse intervenir, un éclair aveuglant s’échappa des nuages indigo. Il frappa durement le sol devant le renégat. La secousse jeta tous les combattants au sol.

— Onyx ! hurla Swan, qui ne le voyait plus dans la fumée.

Elle s’élança à la rescousse de son époux, bousculant les insectes sur sa route. Ressentant soudain le danger, elle s’arrêta net : un immense cratère s’ouvrait devant elle. Lorsque la poussière retomba, elle vit, de l’autre côté, son époux chancelant. « Pourquoi abuse-t-il toujours de ses forces ? » se fâcha la guerrière. Onyx tomba sur un genou. Il appuya la main par terre pour tenter de se relever, bien inutilement. Il s’écroula sur le sol, face première. Swan n’attendit pas que les larves et ses frères d’armes se remettent du choc. Elle se servit de sa magie pour traverser la crevasse.

Onyx avait du mal à respirer Le petit dragon argenté, sur son majeur, semblait aussi chercher son souffle. La femme Chevalier détacha les courroies de la cuirasse d’Onyx et rejeta sa partie frontale plus loin. La tunique de son mari était complètement trempée. Swan retira son poignard de sa ceinture et déchira le tissu. Elle se mit alors à masser la poitrine d’Onyx de façon à faciliter, puis à ralentir sa respiration.

— Qu’est-ce qui t’a pris ? le sermonna-t-elle. Veux-tu absolument mourir ?

— Je…

— Tais-toi ! Ce n’était pas une question, c’était un reproche !

Il ferma les yeux. De petits éclairs coururent sur sa peau, forçant Swan à retirer rapidement ses mains. Elle étouffa un juron et se laissa retomber en position assise. Pourquoi cet homme la repoussait-il chaque fois qu’elle voulait le secourir ? Encore tremblant, il fit un effort pour s’asseoir. Swan ne fit rien pour l’y aider. Onyx décela la fureur dans ses yeux. Un sourire moqueur se dessina sur ses lèvres. Il aimait les femmes fortes.

Wellan, poussez-les dans le trou, ordonna-t-il mentalement, sans détacher son regard du visage de sa femme. Puis, il retomba sur le dos, sombrant dans l’inconscience. Swan jugea qu’il était suffisamment éloigné des combats pour qu’elle puisse le laisser sans défense. Elle examina la situation de l’autre côté du cratère. Les Chevaliers se remettaient un à un de la secousse. Ils avaient évidemment entendu l’ordre de leur roi. La plupart se servirent de leurs pouvoirs magiques pour balancer les imagos dans le vide. Hadrian demanda plutôt à son groupe de se replier derrière les larves. Comprenant ce qu’il était en train de faire, Dempsey l’imita.

Après avoir prévenu les soldats de Diamant et de Jade de leurs intentions, les Chevaliers et les Écuyers formèrent une ligne. Le retrait des humains ne découragea nullement les coléoptères, toujours attirés par la Montagne de Cristal comme par un aimant. Maintenant ! commanda soudain Wellan. Alors, le pouvoir combiné de tous ces magiciens créa une force irrésistible, qui compacta les carapaces et les fit basculer dans la crevasse. Malgré leur fatigue, les guerriers se massèrent ensuite sur le bord du cratère, prêts à incinérer l’adversaire.

Attendez ! les arrêta Hadrian. Il avait longtemps dirigé une armée et il avait appris, à ses dépens, à protéger ses arrières en tout temps. Wellan se fraya un chemin jusqu’à lui.

— Que captez-vous ? s’enquit-il.

— Soyons prudents, répliqua l’ancien roi en se tournant vers la plaine, qui s’étendait à perte de vue.

Wellan dépêcha Lassa et Cassildey auprès des armées de Jade et de Diamant, pour leur demander de les couvrir tandis qu’ils détruisaient les insectes. Les adolescents coururent à toutes jambes derrière leurs aînés et leurs apprentis. Ils trouvèrent facilement les souverains de ces pays voisins d’Émeraude. Le Roi Lang et le Roi Kraus se tenaient côte à côte. À cheval, sur leur droite, deux personnages laissèrent les Écuyers bouche bée. Il s’agissait de Dylan, accompagné d’une magnifique jeune fille en cuirasse rouge et or, ses cheveux noirs flottant au vent.

— Nous ne savons pas lire dans les pensées, leur rappela Lang.

— Mille pardons, Majesté, s’excusa Lassa.

Il leur transmit la demande de Wellan, en faisant attention de ne pas tourner les yeux vers la Princesse de Jade. Cassildey, lui, ne se gêna pas pour l’admirer ouvertement. Les deux monarques dispersèrent leurs soldats sur la plaine. Shenyann suivit son père sans se préoccuper des garçons, mais Dylan se laissa glisser sur le sol.

— Merci d’être là, lui dit Lassa. L’aide d’un Immortel nous sera précieuse.

— Hélas, non, soupira le fils de Wellan. J’ai perdu tous mes pouvoirs.

— De quelle façon ? s’étonna Cassildey.

Un intense crépitement les empêcha d’entendre la réponse de Dylan. Les soldats magiciens lançaient des jets de flammes sur les scarabées incapables de sortir de la crevasse et de creuser des tunnels. Leur destruction nécessita de longues minutes. Quelques Écuyers durent se retirer du bombardement, leurs mains les faisant trop souffrir. Bientôt, les coléoptères ne furent plus qu’un amas de cendres.

— Que s’est-il passé, Dylan ? voulut savoir le porteur de lumière.

— J’ai été attaqué par Akuretari.

Lassa sentit un frisson d’horreur lui parcourir le dos. Cassildey, de son côté, était plutôt stupéfait.

— Je ne sais pas pourquoi j’ai survécu, ajouta Dylan. Peut-être voulait-il seulement me neutraliser.

— Te neutraliser ? répéta Cassildey. Qu’aurait-il à gagner en t’empêchant d’agir ?

— C’est Dinath qu’il traquait. Je ne peux plus la défendre, désormais.

Wellan, qui cherchait ses apprentis, fut bien étonné de les trouver en compagnie de son fils de lumière. Avant même de lui adresser la parole, il l’attira dans ses bras et l’étreignit.

— Tu arrives au bon moment, se réjouit-il.

— Je suis venu à cheval avec l’armée du Roi Lang, l’informa Dylan.

— A cheval ?

— Il a perdu ses facultés, expliqua Cassildey, sans plus de façon.

— Tu t’es battu aux côtés des Jadois sans tes pouvoirs ? s’alarma le père.

— Je ne suis pas très habile avec une épée, alors le Roi Lang m’a demandé de rester ici.

— Comment est-ce arrivé ?

— C’est une longue histoire. Me permettriez-vous de vous la conter plus tard ? Je suis fatigué d’avoir passé toute la journée en selle.

« Fatigué ? » s’étonna Wellan. C’était une condition que ne connaissaient pas les Immortels. Dylan le saisit alors par le bras pour contourner le cratère à pied.

Les guerriers se reposèrent un peu avant d’établir un campement. Wellan s’installa en retrait avec son fils. Lassa vint s’asseoir non loin, les jambes croisés, afin d’écouter le récit de l’adolescent de lumière. Cassildey alla plutôt jeter un coup d’œil dans la crevasse.

— J’ai rêvé toute ma vie d’être mortel et, maintenant que je le suis, j’ai très peur de vivre ici, avoua Dylan.

— Le processus est-il réversible ? s’enquit Wellan.

— Seul Akuretari pourrait défaire ce qu’il a fait. Nous pouvons difficilement l’exiger de lui.

— Akuretari ! tonna le Chevalier, qui en avait assez d’entendre prononcer son nom. C’est une terrible tragédie pour le ciel d’avoir perdu un aussi bon serviteur que toi, mais mon cœur se réjouit de te savoir vivant.

Les soldats de Diamant et de Jade envahirent le campement. Leurs rois rejoignirent Wellan et les adolescents. La Princesse Shenyann les accompagnait. Lang présenta fièrement sa fille aux vaillants défenseurs d’Enkidiev. Les yeux remplis d’étoiles, il leur raconta comment il l’avait enfin retrouvée. Lassa était fasciné par la beauté tranquille de Shenyann. Cette dernière écoutait son père parler d’elle sans sourciller Elle aurait pourtant dû rougir.

Le porteur de lumière sursauta lorsque Lang mentionna que toute sa vie, sa fille avait été une princesse sans royaume. Confus, l’adolescent s’excusa auprès de son maître, prétextant devoir s’occuper des chevaux, Wellan chercha Cassildey du regard, car il ne voulait pas que Lassa parte seul.

— Il y a des Chevaliers partout, le rassura le porteur de lumière. Soyez sans crainte.

Il fonça vers la plaine, où d’autres apprentis avaient déjà récupéré leur monture et celle de leurs maîtres. Il reconnut tout de suite sa meilleure amie parmi eux.

— Jeni ! s’exclama-t-il.

La jeune fille lui sauta dans les bras. Au lieu d’exprimer sa joie de le revoir, elle éclata en sanglots.

— Que se passe-t-il ? s’énerva Lassa. Est-ce que tu es blessée ?

Elle le serrait à lui rompre les os.

— Jenifael, réponds-moi.

Il l’éloigna doucement de lui et la fixa dans les yeux.

— Je suis désolée, Lassa… Je ne voulais pas t’en parler, mais en te voyant, tout m’est revenu en mémoire.

— Mais de quoi parles-tu ?

— J’ai interprété les étoiles de la prophétie avec l’aide de sire Hadrian.

— L’avenir est-il encore plus sombre que prévu ?

— Maître Élund ne nous a pas tout dit, L’Empereur Noir te fera souffrir avant que tu réussisses à le vaincre. J’ai si peur pour toi.

— Je ne suis certes pas aussi courageux que Liam, mais j’endurerai les pires supplices pour vous sauver tous, tu le sais.

— Ce sont de braves paroles vites oubliées sous la torture, lança ironiquement Cassildey, en arrivant derrière lui.

— Au lieu de le terroriser, pourquoi ne l’encourages-tu pas, comme un véritable Chevalier d’Émeraude le ferait ? riposta Jenifael.

— Les prophéties ne veulent rien dire. Ce sont les hommes qui forgent leur propre destin. N’en suis-je pas la preuve ?

Lassa n’aimait pas la discorde. Il partit donc à la recherche de son cheval et de celui de Wellan. Il n’en voulait pas à Cassildey. Le pauvre garçon ne ressemblait pas aux autres Écuyers de son âge, car il n’avait pas bénéficié des bons conseils d’un adulte durant son apprentissage. Il disait ainsi n’importe quoi pour se rendre intéressant, sans se soucier de la peine qu’il pouvait causer aux autres.

Grisald s’était considérablement éloignée des autres bêtes. Lassa sonda les alentours avant de s’en approcher. Il ne voulait pour rien au monde tomber dans un piège comme celui que lui avait tendu Asbeth. Son avenir n’était sans doute pas très rose, mais il voulait tout de même faire un effort pour demeurer en vie le plus longtemps possible. Il s’empara des rênes de l’animal et le ramena vers le campement. Il trouva sa propre monture parmi un groupe de jeunes chevaux. La jument isabelle releva la tête en le voyant approcher. Docilement, elle trotta jusqu’à lui.

— Merci de me sauver des pas, Adfor, lui dit-il en lui caressant l’encolure.

Il fit avancer les destriers en silence et les mena aux abreuvoirs du village. Jenifael s’empressa de l’y rejoindre, seule cette fois.

— Ne laisse pas les paroles de Cassildey te blesser, Lassa, lui recommanda-t-elle.

— J’y suis habitué, fit-il en haussant les épaules. Ce n’est pas sa faute s’il n’a aucune manière. Il n’a pas eu de maître.

— Tu fais preuve d’une indulgence que j’essaie encore d’acquérir.

— J’ai appris quelque chose de troublant tout à l’heure, avoua Lassa pour changer le sujet.

— Quoi donc ?

— Kira n’est peut-être pas celle que mentionne la prophétie, en fin de compte. Le Roi Lang nous a présenté sa fille Shenyann, en nous disant qu’elle a longtemps été une princesse sans royaume. En y réfléchissant bien, il y en a d’ailleurs peut-être d’autres comme elle.

— Il y a seulement une poignée de rois sur ce continent, donc très peu de princesses. Selon moi, celle qui te permettra de vaincre l’empereur ne peut pas être une jeune fille qui a fini par reprendre sa place auprès de son père. C’est quelqu’un qui n’a plus du tout de royaume.

— Kira ne peut pas prétendre régner sur Shola, car il n’y a plus personne là-bas, mais elle a tout de même été Princesse d’Émeraude.

— À mon avis, il est inutile de nous embrouiller davantage, voulut le rassurer Jenifael.

Ils retournèrent ensemble vers les feux qui embrasaient un peu partout près de la rivière.

— La fille de Danalieth pourrait aussi être la princesse sans royaume dont parle le ciel, poursuivit Lassa, tenace. La mère de Dinath est une reine, non ?

— Celle de Lady Ariane aussi. Au lieu de nous tourmenter, posons la question à Danalieth lorsque nous le croiserons à nouveau, si tu le veux.

Cette proposition sembla apaiser son ami. Ils se précipitèrent tous les deux pour aider les Écuyers dans leurs diverses corvées.

Autour des feux, la plupart des Chevaliers et de leurs apprentis nettoyaient leurs armes. Les autres refaisaient leurs forces. Nogait fit glisser son épée dans son fourreau, puis décocha un regard taquin à Chloé.

— Si j’avais su qu’il était aussi éreintant d’être Chevalier, je serais devenu troubadour ! lança-t-il.

— Après t’avoir entendu chanter, je crois que tu n’aurais pas travaillé longtemps, répliqua la guerrière.

— Justement.

— Tu n’es qu’un paresseux, lança Zerrouk en prenant place près de lui.

Anton, son Écuyer, observa le visage de Nogait pour voir comment il réagirait.

— Je ne vois qu’une façon de répondre à cette insulte, rétorqua ce dernier Je vais vous chanter une de mes compositions !

Toux ceux qui l’entouraient se mirent à protester. Mais Nogait fit la sourde oreille et exigea plutôt qu’on lui apporte une harpe. Herrior sortit la sienne de sa sacoche de cuir, malgré les plaintes de ses compagnons.

— Ce sera moins terrible si je l’accompagne moi-même, se défendit-il.

— Oyez, oyez ! s’exclama Bailey. Le grand chantre d’Émeraude va maintenant nous interpréter sa plus douloureuse lamentation !

Assis devant un autre feu, Wellan releva les sourcils. Il ne s’opposait pas à ce que ses soldats s’amusent un peu après une dure journée de combat, mais Nogait avait un penchant dangereux pour l’exagération. Il lui faudrait donc surveiller attentivement la plaine tandis que son frère d’armes faisait le pitre, car il attirerait certainement toute l’attention sur lui.

— Merci, Bailey, mon frère ! se réjouit Nogait en se levant.

— Par quelle note veux-tu commencer ? s’informa Herrior.

— N’importe laquelle.

Le musicien jeta un coup d’œil interrogateur à ses commandants. Dempsey haussa les épaules et Chloé fit semblant de ne pas le voir. Toutefois, avant même qu’Herrior n’ait effleuré les cordes de l’instrument, Nogait se mit à chanter sans tenir compte du registre de la harpe.

Il était une fois un groupe de valeureux Chevaliers

Qui ne cessaient de mettre les pieds dans des guêpiers

Ils auraient tous mieux fait d’être plâtriers

Au lieu de toujours se sacrifier.

Il fit un petit tour sur lui-même en imitant une marionnette. Même les plus sérieux de ses compagnons durent reconnaître qu’il avait un talent certain pour la bouffonnerie.

Il était une fois un groupe d’affreux insectes

Qui ne savaient pas être corrects.

Ils auraient tous mieux fait d’être architectes

Au lieu de se montrer abjects.

Nogait exécuta une courte gigue, qui faillit le faire tomber tête première dans les flammes.

Il était une fois un grand chef

Les guerriers manifestèrent bruyamment leur plaisir de le voir ainsi piquer Wellan.

Qui n’écoutait jamais nos griefs

Se vantant de toujours être bref

Dans la bataille il nous lançait derechef.

Au grand étonnement de l’auditoire, Chloé se leva alors pour répondre à son frère impudent.

Il était une fois un loquace barde

Qui chantait des chansons gaillardes

Sans jamais prendre garde

De recevoir des coups de hallebarde.

Le rire se propagea jusque dans les rangs des soldats de Diamant et de Jade. En fait, seule Maïwen n’y prêta pas attention, car elle avait perdu de vue son époux. A cette heure-là de la soirée, Kevin était parfaitement capable de s’orienter. Mais où était-il allé ? Elle quitta le groupe en douce. Grâce à ses sens aiguisés, elle repéra le Zénorois au bord du cratère. Soulagée de constater qu’il ne lui était pas arrivé malheur, elle s’approcha de lui à pas feutrés.

— Est-ce que ça va ? s’inquiéta-t-elle.

— Même si leur sang coule dans mes veines, je n’arrive pas à comprendre le besoin de conquête des hommes-insectes, murmura-t-il.

— Je pense que c’est surtout une mauvaise gestion des naissances.

Il tourna doucement la tête vers elle. Les Fées étaient d’ordinaire des créatures fantaisistes et insouciantes. Pourtant, Maïwen faisait toujours preuve d’une logique implacable.

— Si leur chef était une femme, comme chez les abeilles, ce serait bien différent, continua-t-elle.

Elle prit place près de lui, en respectant la distance qu’il aimait garder avec ses semblables.

— Si l’empereur n’était pas aussi intraitable, ce serait une bonne idée de t’envoyer chez les Tanieths comme négociatrice, lâcha-t-il.

— J’y ai souvent pensé.

Kevin se laissa retomber sur le dos pour observer les étoiles.

— Pourquoi t’isoles-tu ainsi, ce soir ? voulut savoir son épouse.

— Je ne crois pas qu’on doive célébrer un massacre.

— Tu aurais préféré que ce soit nous, au fond de cette crevasse ?

— Évidemment pas. Au lieu de rire et de nous amuser, nous devrions garder un silence respectueux, car un Chevalier doit révérer la vie. N’est-ce pas ce qu’on nous apprend ?

— Tu es bien amer, ce soir.

Elle se rapprocha prudemment de lui. Il n’était pas évident d’être la femme d’un homme armé de griffes acérées et d’un caractère tout aussi tranchant.

— Je suis déchiré entre mon devoir de Chevalier et mon serment de maître, avoua-t-il.

— Aucun d’entre nous ne capte malheureusement l’essence vitale de Liam.

— Cela ne veut pas dire qu’il est mort. L’énergie des volcans est puissante. Elle nous masque ce qui se passe derrière cette chaîne de montagnes. J’ai enseigné à Liam tout ce que je sais, et ce que je fais le mieux, c’est survivre. Je suis certain qu’il est en vie.

La Fée s’allongea pour regarder le ciel avec lui.

— Les astres t’ont-ils appris quelque chose ? s’enquit-elle.

— Ils peuvent avoir des centaines de signification.

— Pas pour toi. Tu as appris cette science avec maître Elund. N’essaie pas de le nier.

Il soupira et demeura silencieux un long moment.

— Nous ne sommes pas au bout de nos peines, lui apprit-il.

— Lassa ne pourra pas vaincre Amecareth sans Kira, n’est-ce pas ?

— Sa destruction est toujours annoncée, bien que je ne comprenne pas très bien comment elle se produira. Les étoiles parlent d’une grande bataille. Je ne crois pas qu’il s’agisse de l’élimination systématique des larves. L’Empereur Noir est un fin stratège. Il nous épuise avant de frapper.

— Si jamais notre fin devait être proche, est-ce que tu me laisseras t’embrasser au moins une fois ?

Il tourna doucement la tête vers elle pour observer son doux profil.

— Si tu savais à quel point j’ai envie de toi, parfois, souffla-t-il. Surtout, ne perds pas espoir. Hadrian m’a dit que ce maléfice pouvait être brisé. Alors, un jour, nous reprendrons le temps perdu.

Un merveilleux sourire illumina le visage de la Fée. Kevin prit sa main et l’embrassa, comme pour sceller cette promesse.

Onyx ne revint pas à lui, malgré les interventions des soldats magiciens. Il s’était vraiment vidé de ses forces et avait besoin de les refaire par lui-même. Aussi, en son nom, Wellan et Hadrian bavardèrent-ils longuement avec les Rois Lang et Kraus.

Une fois le repas terminé, Jenifael alla s’asseoir près de Swan. La femme Chevalier glissait tendrement ses doigts dans les longs cheveux noirs de son époux, espérant le voir ouvrir les yeux. « Il est bien plus beau quand il dort », songea son apprentie. Swan lui lança un regard désapprobateur.

— Il fait beaucoup de progrès, le défendit-elle.

— Je ne voulais surtout pas vous offenser, maître. Mon devoir est de vous encourager, pas de vous démoraliser. Sa Majesté a mis sa vie en péril pour nous, aujourd’hui, et je pense le plus grand bien de lui.

— Mais tu le trouves plus beau lorsqu’il est inconscient…

— C’est qu’il perd alors le sourire narquois qui lui donne un air sadique.

Swan arqua un sourcil. Décidément, cette enfant la surprenait sans cesse.

— Mais vous le connaissez mieux que moi, c’est certain, se reprit Jenifael.

Swan choisit de ne pas répliquer. Elle s’allongea près de son époux inconscient et passa le bras autour de sa poitrine pour le sentir respirer. Jenifael en profita pour admirer le visage d’Hadrian, qui faisait la conversation avec les rois. Ses yeux gris brillaient de plaisir. Elle aurait tant aimé être Chevalier, ce soir-là, et l’isoler du groupe pour lui parler de tout et de rien.

— Et lui, il a quel genre de sourire ? lui demanda Swan.

Jenifael rougit jusqu’aux oreilles. Pourtant, son maître était au courant de son secret.

— Séduisant…, s’étrangla-t-elle.

— C’est bien ce que je pensais.

Swan éclata de rire. Pour éviter que ceux qui les entouraient ne se mettent à la questionner, Jenifael s’enroula dans sa couverture et s’allongea sur le sol. Le silence s’installa graduellement dans le campement. Les flammes des nombreux feux devinrent bientôt des braises, et la Lune descendit derrière les grands arbres de la forêt orientale.

Soudain, Onyx sursauta. Tous ses membres étaient congelés. Il souleva doucement le bras de Swan et parvint à s’asseoir. Tout le monde dormait. Les Chevaliers qui montaient la garde étaient à l’autre bout du campement et ne s’occupaient pas du feu. Le Roi d’Émeraude fit donc apparaître des bûches sur toutes les braises. Il matérialisa même une épaisse couette pour se réchauffer. Le froid continua tout de même de l’assaillir à travers la couverture. C’est alors qu’il vit se former à ses pieds une étrange silhouette blanche. Il pointa immédiatement la main dans sa direction, mais la griffe releva les oreilles, bâilla et se rendormit. Ce n’était donc pas un Immortel ou un dieu… La nuée transparente se solidifia peu à peu pour finalement prendre la forme… d’un enfant de neuf ans !

— Nemeroff…, balbutia Onyx.

Le corps de son aîné devint solide, mais sa peau demeura lumineuse. Il marcha sur la couette et passa les bras autour du cou de son père. Onyx le pressa contre lui avec force.

— Je ne peux pas rester longtemps, murmura le garçon à son oreille.

— Non, reviens auprès de moi…

— Je n’appartiens plus à ce monde, papa. Les dieux m’ont donné la permission de t’apparaître une dernière fois. Ils veulent que tu saches que…

— Je me moque de ce qu’ils veulent ! se fâcha Onyx. Ne me parle pas d’eux, parle-moi de toi. Ou as-tu perdu ton identité en arrivant sur les grandes plaines de lumière ?

— Je suis toujours Nemeroff, fils d’Onyx d’Émeraude et de Swan d’Opale. J’ai conservé tous mes souvenirs, mais je ne ressens plus rien. Je n’ai ni soif, ni faim, ni sommeil.

— Tu ne ressens plus d’amour pour tes parents ?

— Au début, vous m’avez manqué, mais Almandin m’a rassuré.

— Almandin ? répéta le père, sidéré.

Il n’avait pas entendu ce nom depuis des centaines d’années. Il avait été son premier fils à naître à Espérita.

— Il m’a beaucoup parlé de toi, poursuivit Nemeroff.

— Il te ressemblait, se souvint Onyx.

— Il m’a dit que nous serons tous ensemble ici, à la fin. C’est moi qui serai ton guide lorsque tu franchiras toi aussi le portail des grandes plaines de lumière.

Onyx revint brusquement de sa vision d’un autre temps.

— Tu n’aurais pas dû mourir si jeune, s’assombrit-il.

— Le jour de notre mort est décidé par les dieux.

— Ils se moquent éperdument des malheurs et des joies que nous vivons dans cet univers, Nemeroff. Ils se soucient encore moins de notre dernier souffle.

— Il y a une raison pour toute chose, papa. C’est toi qui me le répétais si souvent. Tu m’as aussi dit que seuls les hommes méritants étaient admis au ciel.

— Ne me répète pas mes paroles. Dis-moi seulement que tu n’es pas malheureux.

— Je ne le suis pas. Kiefer est avec moi, et d’autres amis aussi. Nous restons toujours ensemble.

Onyx se mit à pleurer amèrement.

— Je te vengerai, Nemeroff…, hoqueta-t-il.

— La vengeance ne rend pas les hommes dignes d’estime. En agissant ainsi, tu ne pourras jamais venir me rejoindre là où je vis désormais.

Onyx n’eut pas le courage de lui dire qu’il avait perdu ce privilège depuis bien longtemps. Au moins, sa mère et ses frères le rejoindraient-ils un jour au-delà de la tombe.

— Est-ce que tu sais comment tu es mort ? sanglota le renégat.

— C’est arrivé tout d’un coup. Je crois que la tour de maître Hawke s’est écroulée.

— Elle a été démolie par l’être le plus ignoble que la terre ait jamais porté. J’ai juré de tuer celui qui m’avait enlevé mon fils.

— Cela ne changera rien à mon destin.

— Les assassins ne méritent pas de vivre !

Nemeroff prit alors le visage de son père entre ses petites mains et planta son regard dans le sien.

— Non, ne le tue pas. Je veux que tu viennes me rejoindre ici avec maman. Les dieux ne te laisseront pas entrer dans leur monde si tu te venges.

Le petit fantôme essuya les larmes d’Onyx de son mieux.

— Je dois partir, papa.

— Non…

— Prends bien soin de maman et de mes frères jusqu’à ce qu’ils quittent ce monde.

Il embrassa Onyx sur le front. Jamais ce dernier n’oublierait l’amour qu’il ressentit dans ce baiser. Nemeroff lui adressa un sourire espiègle, puis s’évapora. Le renégat sanglota longtemps, avant de se laisser retomber sur le dos. Son fils avait raison : il devait protéger ses frères et leur mère de la cruauté de l’empereur.

Au matin, il fut réveillé par le son familier du choc de lames d’acier. Il battit des paupières et en chercha la source. Lassa et Jenifael enseignaient l’escrime au fils immortel de Wellan.

— Dylan ? Ici ? grommela Onyx en se redressant.

Le soleil était levé. Pourtant, les Chevaliers n’avaient pas encore quitté les abords du village pour aller patrouiller la plaine. Que se passait-il ? Onyx observa la leçon en fronçant les sourcils. Au bout d’un moment, il constata qu’il ne voyait plus les choses de la même façon. Quelque chose avait changé en lui. Il fouilla jusque dans les replis les plus secrets de son âme et découvrit ce qu’il y manquait : sa colère s’était atténuée. La visite inattendue de son défunt fils avait-elle réussi à refermer la plaie béante dans son cœur ?

Il prit une profonde respiration et se concentra sur le duel. Wellan corrigea la position des mains de Dylan sur la poignée de son épée. Le petit apprenait vite, Hadrian décida tout de même de s’en mêler. Il montra à l’adolescent comment se déplacer pour éviter d’offrir une cible trop facile à son adversaire. Bientôt, l’arme devint trop lourde pour le néophyte, qui n’avait pas encore développé ses muscles. Elle se retrouva donc dans la main de l’ancien Roi d’Argent. Ce dernier leva alors les yeux sur Wellan avec un air de défi. Cela suffit aux Chevaliers et aux Écuyers. Ils se mirent à pousser leur commandant à croiser le fer avec ce personnage de légende.

« Ça commence à devenir intéressant », songea Onyx en se remettant sur pied. Encouragé par Volpel, Bailey tendit à Wellan sa propre épée. Les deux grands chefs se saluèrent avant de combattre.

— Ne le laisse pas gagner, Hadrian ! l’avertit Onyx en se faufilant entre les soldats pour mieux observer le spectacle.

Swan bondit vers lui. Elle passa le bras autour de sa taille pour lui garantir un meilleur équilibre.

— Tu vas mieux ? s’inquiéta-t-elle.

— Je ne me suis jamais senti aussi bien.

Il l’embrassa sur les lèvres et la colla davantage contre lui. Il lui raconterait plus tard son entretien avec Nemeroff. Pour l’instant, il voulait juste suivre l’action. Près d’eux, Jenifael était perplexe. Pour qui devait-elle prendre ? Son père, ou l’homme qui provoquait tous ces changements en elle ?

Le groupe de Falcon se mit du côté de son commandant, tandis que celui de Wellan stimulait le grand chef. Wanda s’empressa tout de même de leur rappeler qu’il s’agissait d’une compétition amicale.

— Écrase-le, Wellan ! s’écria Nogait.

Dempsey, qui était pourtant toujours d’un calme imperturbable, se posta derrière le turbulent Chevalier et encouragea lui aussi Wellan.

À la surprise générale, Hadrian attaqua le premier Les coups échangés entre les deux hommes étaient solides et calculés, Ils ne cherchaient pas à se blesser mutuellement. Moins massif que Wellan, l’ancien chef des Chevaliers était cependant plus alerte. Il s’aperçut tout de suite que le bras musclé de son opposant ne supporterait pas une rapide série de parades. Il força donc Wellan à détourner ses assauts, de plus en plus rapprochés.

Puis, soudain, Hadrian opta pour des feintes, qui obligèrent le grand chef à effectuer des mouvements plus larges qui lui offraient de belles ouvertures.

— Toi et moi ne nous sommes jamais affrontés en duel, chuchota Swan à l’oreille de son époux, qui étudiait la stratégie des deux héros.

— C’est moi qui gagnerais, affirma-t-il.

Swan lui donna un coup de poing dans l’estomac, lui coupant le souffle.

— Ne répète jamais ces paroles, l’avertit-elle.

Le combat tournait à l’avantage d’Hadrian lorsqu’il fut interrompu par des cliquetis familiers.

— Des larves ! s’exclama Rainbow.

Les guerriers se précipitèrent aussitôt sur leurs cuirasses et leurs épées. Swan s’apprêta à s’élancer avec ses compagnons. Onyx la retint fermement par le bras. Elle voulut l’invectiver, mais ce qu’elle vit dans ses yeux pâles arrêta les mots dans sa gorge.

— Onyx, est-ce bien toi ? arriva-t-elle enfin à articuler.

— Qui veux-tu que ce soit ? s’étonna-t-il.

— Farrell ?

— Sa personnalité s’est soudée à la mienne. Combien de fois devrai-je te le dire ?

— Pourquoi es-tu si différent ce matin ? Est-ce lié à la terrible magie que tu as utilisée hier ?

— Nemeroff m’est apparu durant la nuit.

— Les dieux l’ont laissé revenir et tu ne m’as pas réveillée !

— Il n’est resté qu’un instant…

Les yeux d’Onyx s’embuèrent de larmes.

— C’est toi qu’il venait voir, n’est-ce pas ? comprit-elle.

Onyx hocha doucement la tête.

— Il voulait me dire qu’il n’est pas malheureux. Il se souvient de la destruction de la tour, mais personne là-haut n’a cru bon de lui expliquer comment c’était arrivé.

— Nous ne sommes pas censés souffrir dans l’autre monde, Onyx. Les dieux ont sans doute préféré qu’il n’en sache rien.

Il attira sa femme dans ses bras et l’étreignit, sans se soucier de l’activité guerrière qui régnait autour d’eux.

— Je suis contente qu’il t’ait rassuré sur son sort, susurra-t-elle. Mais à présent, viens m’aider à abattre ces insectes de malheur, avant qu’ils n’atteignent le château et nos trois enfants encore bien vivants.

Elle l’embrassa fougueusement, puis le tira vers l’endroit où ils avaient laissé leurs uniformes.

La Justice céleste
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